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Sur le quai du port de plaisance, accusant de nombreuses places vacantes et une brume à l’étrangeté bien onirique pour une haute saison dans la région, Marwan visse le large et lourd tuyau d’arrosage au réservoir d’eau douce réservé aux gros calibres des mers. Il se demande si ce qu’il ressent de la pesanteur du caoutchouc correspond au poids réel du tuyau ou si c’est le signe de son extrême fatigue, qui tout à coup, depuis leur départ à tous, le colonise en son entier.
Par-dessous son épaule, le visage presque niché sous sa propre aisselle, il prend une minute tout de même pour les regarder s’éloigner au bout du quai, le groupe d’amis plongeurs amoureux des bas-fonds, ses clients, ses colocataires de bateau, quatre – cinq moins une – silhouettes rétrécissant pour devenir de simples points de couleur, rouge, vert, violet, la casquette blanche de Zoé avec un G rouge dessus, initiale du prénom de son défunt père, la tunique tachetée de jaune d’Audrey sortie à toutes les sauces pendant les sept jours de croisière, la chevelure noire épaisse d’Henri qui semble avoir doublé de volume en quelques jours, et derrière, à plusieurs mètres, sa cousine Amal, ses longues jambes traînardes dans son short en jean, les mêmes jambes que sa mère ; colère ou tristesse, il se demande laquelle sera sa compagne pour son chemin de retour.
Dans un profond soupir de soulagement, il grimpe sur le bateau, ramenant quelques mètres de tuyau à bord. Il va commencer par le pont avant. Il presse sur la gâchette du pistolet et l’eau déroule ses rubans purifiants sur le teck qui a accueilli leurs corps aux uns et aux autres, tentant de se reposer, de se réchauffer après les plongées et les tensions. Il se demande si, une fois rentrés chez eux, ils continueront à se voir, s’ils sauront se remettre. Après cette semaine en mer, il est le seul à ne comptabiliser aucune perte. Lui n’a jamais rien cherché à gagner. Juste quelques billets pour un job d’été. Qu’il filera à sa mère, à peine rentré au Caire, pour la maison ou les frais médicaux.
A mesure qu’il nettoie le voilier, il fait défiler les images marquantes du périple. Les repas qu’il percevait du pont, tendus, ennuyeux, toujours la voix d’Olivier par-dessus et le rire nerveux caquetant de sa femme, Audrey, soumise, rendue, les yeux vides et cerclés de noir. Les imitations d’Henri, le silence de Zoé et, parfois, le ton précis et cassant d’Amal qui saturait. Il revoit les remontées de plongée et leurs visages soudain réjouis, enfantins. Les mouvements de théâtre de boulevard, entre les heures amicales, les jugements et les manigances.
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